CURIOSITÉ

Vivons-nous dans une réalité simulée ?

Les cinq hypothèses de Nick Bostrom.

Temps de lecture estimé :
5
min
Publié le
5/2/2021

À l’aube de l’intelligence artificielle et du transhumanisme, l’humanité se voit déjà remplacer les dieux.

Dans le futur, nous pourrions simuler des réalités. Si cela devait se concrétiser, comment pourrions-nous affirmer avec certitude que notre existence actuelle n'est pas déjà le fruit d'une simulation ?

Et si nous n’étions pas les créateurs, mais les créations ?

La thèse de la réalité simulée a été originalement proposée par Nick Bostrom en 2001 puis publiée en 2003 dans l’article Are you living in a computer simulation?.

Depuis qu’Elon Musk l’a ouvertement défendue, cette idée gagne en popularité. En clôture d’un podcast sur l’intelligence artificielle, Lex Fridman lui a posé à Musk cette question :

« Quand un système d’intelligence artificielle forte sera créé, et si vous avez l’opportunité de lui poser une seule question, quelle serait cette question ? »

Elon réfléchit 13 secondes, avant de répondre :

« Qu'y a-t-il au-delà de la simulation ? »

Pourquoi Elon Musk pense-t-il qu'il a une chance sur un milliard d'être fait de chair et d'os ? C'est ce que nous allons explorer !

Les 5 hypothèses

Tout d’abord, l’idée d’une simulation ne requiert pas que tous les atomes de l’univers soient générés. Il suffirait de simuler suffisamment d'éléments pour rendre la réalité plausible.

La subtilité réside dans cette impression de réalité.

Des jeux vidéos tels que Minecraft ou No Man's Sky utilisent la génération procédurale pour construire leurs mondes, à mesure qu'ils sont explorés.

De plus, chaque objet dans ces mondes n'a pas besoin d'être entièrement calculé, sauf si une scène spécifique l'exige. Et si notre monde fonctionnait de la même manière ? Et si l'intérieur de la chaise sur laquelle vous êtes assis ne se matérialisait qu'une fois coupée en deux ?

Alors, sommes-nous dans un jeu vidéo ?

Il y a quatre hypothèses principales :

  1. Il est possible de simuler la conscience.
  2. Le progrès technologique continuera.
  3. L’humanité ne va pas s’autodétruire.
  4. Les civilisations avancées voudront simuler des réalités.

Si elles se vérifient toutes, alors une cinquième hypothèse propose que :

  1. Si de nombreuses simulations existent, alors nous faisons probablement partie de l'une d'entre elles.

Examinons-les de plus près.

Hypothèse 1 : Il est possible de simuler la conscience

La nature de la conscience demeure un mystère.

Admettons que simuler la conscience équivaudrait à simuler le cerveau.

Considérons une opération pour chaque interaction entre synapses. Votre cerveau réalise environ 10^17 opérations par seconde. Supposons généreusement qu'il faille calculer 10^20 opérations pour simuler une seconde de conscience humaine. Pour pouvoir parcourir la ligne du temps, nous souhaiterions simuler l'histoire entière de l'humanité en une seule fois, soit environ 200 milliards d'individus avec une durée de vie moyenne de 50 ans.

Une année compte environ 30 millions de secondes.

Il faudrait alors simuler 30 millions x 50 x 200 milliards x 10^20, soit 3*10^40 opérations par seconde. Qu'est-ce que ce chiffre représente ?

30 milles milliards de milliards de milliards de milliards d’opérations par seconde.

C'est colossal. L'ordre de grandeur serait comparable à celui du nombre d'étoiles dans l'Univers multiplié par le nombre de grains de sable sur Terre.

Hypothèse 2 : Le progrès technologique continuera

Si la technologie continue de progresser au rythme actuel sans rencontrer de plafond de verre, des civilisations hyper avancées pourraient, dans quelques millénaires, se doter d'une puissance informatique quasi infinie.

Elles pourraient maîtriser de nouvelles sources d'énergie, comme l'énergie solaire.

Attention, je ne fais pas référence ici à un modeste panneau solaire installé sur un toit, mais plutôt à une mégastructure englobant une étoile, à l'instar d'une sphère de Dyson.

Rendu 3D d'une sphère de Dyson composée de grands panneaux orbitaux (Wikipedia)

Une telle source d'énergie permettrait de construire des ordinateurs d'une puissance inouïe. On parle alors de cerveau matrioshka capable de simuler des milliers, voire des millions de réalités simultanément.

D'autres technologies d'ores et déjà en développement, comme les ordinateurs quantiques, pourraient drastiquement réduire la taille des machines nécessaires à la simulation d'une réalité.

Encore faudrait-il qu’il reste quelqu’un pour appuyer sur le bouton.

Hypothèse 3 : L’humanité ne va pas s’autodétruire

L’équation de Drake suggère que l'existence de civilisations plus avancées que la nôtre dans l'univers est statistiquement plausible. Cependant, nous n'en avons détecté aucune. C’est le paradoxe de Fermi.

Je me suis récemment plongé dans un livre proposant 75 réponses à ce paradoxe.

L'une d'elles suggère que chaque civilisation doit surmonter une série d'obstacles pour perdurer. Guerre nucléaire, astéroïde, changement climatique brutal, ou encore générateur de trou noir : ce sont ce que l'on appelle les "grands filtres".

Les grands filtres

Force est de constater que l'aptitude de l'Homme à causer sa propre perte est spectaculaire. Optons toutefois pour l'optimisme, et présumons que la vie est exceptionnellement résiliente.

Hypothèse 4 : Les civilisations avancées voudront simuler des réalités

Nous ne percevons pas le monde tel qu'il est, mais tel que nous sommes.

Nous n'avons aucune idée de ce à quoi une civilisation avancée pourrait ressembler.

Une image de mi-homme mi-robot pourrait être totalement inadéquate. Il se pourrait, par exemple, que les humains se débarrassent de leur enveloppe charnelle pour fusionner en une super-conscience. Pourquoi pas après tout ?

Que pense une fourmi en nous observant ?

En comparaison de ces "super-humains", nous sommes des fourmis.

Il serait fort présomptueux de notre part de prétendre savoir ce que des entités qui nous apparaîtraient comme des dieux pourraient désirer. Simuler des réalités, pour la science ou pour le plaisir, pourrait leur sembler totalement absurde.

Supposons néanmoins qu'elles y voient un intérêt.

Hypothèse 5 : Si de nombreuses simulations existent, alors nous faisons probablement partie de l'une d'entre elles.

Repensez aux premiers ordinateurs. En 1945, l'ENIAC pesait près de 30 tonnes.

Electronic Numerical Integrator And Computer (Wikipedia)

Aujourd'hui, des millions d'ordinateurs ultra-performants se baladent dans nos poches. S'il existe des civilisations simulées, alors il y en a probablement beaucoup. Après tout, l'hypothèse 2 nous offre une puissance de calcul quasi infinie.

Des millions ? Des milliards ? Les chances d'être dans la réalité originelle, celle qui générera toutes les autres, seraient alors très minces.

Nous serions donc très probablement dans une simulation.

Conclusion

Ce raisonnement, qui ne fait d’ailleurs pas l’unanimité, se base sur de nombreuses suppositions pour l'instant difficiles à tester. Nick Bostrom évalue subjectivement à environ 20% la probabilité que ces hypothèses se vérifient.

Que nous soyons simulés ou non, la vie continue. Qu'elles soient virtuelles ou réelles, nous ressentons des émotions. Nous tombons amoureux, nous nous émerveillons, nous rions, et pour cela, la vie vaut la peine d'être vécue.

Cette théorie de la réalité simulée pourrait bien être à l'origine d'une nouvelle religion. Personnellement, bien que je trouve cette idée fascinante, mon caractère agnostique me pousse à ne pas prendre position. Cependant, je lui accorde davantage de crédit qu'à celle d'un monde créé en sept jours.

À moins que ce ne soit le temps nécessaire pour charger la simulation...

Ulysse Lubin signature

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